Septembre 2001

Dictionnaire Permanent Social - Bulletin 714 - 2e quinzaine - septembre 2001

Épargne salariale

Les décrets d'application de la loi sur l'épargne salariale sont publiés

Sont ainsi apportées les précisions nécessaires à la mise en place des nouveaux outils d'épargne salariale (PPESV, PEI) et à l'amélioration des mécanismes existants (intéressement, participation, PEE, actionnariat des salariés)

D. n° 2001-703, 31 juill. 2001 : JO, 3 août ;
D. n° 2001-704, 31 juill. 2001 : JO, 3 août.

Deux décrets d'application de la loi no2001-152 du 19 février 2001 portant réforme de l'épargne salariale ont été publiés au Journal officiel (pour un commentaire de la loi, v. notre Bulletin 705).

Le premier décret précise les règles de gestion des nouveaux outils d'épargne salariale que sont le plan d'épargne interentreprises (PEI), destiné à développer l'épargne dans les PME, et le plan partenarial d'épargne salariale volontaire (PPESV) permettant au salarié de se constituer une épargne pour des projets à long terme ou un complément de retraite. Il apporte également un certain nombre d'aménagements aux dispositifs existants pour en améliorer le fonctionnement, conformément aux prévisions du législateur, notamment en renforçant l'information donnée au salarié quittant son entreprise, en organisant le transfert des sommes épargnées ou encore en actualisant les cas de déblocage anticipé de l'épargne. Sont présentées ci-après les modifications apportées par ce texte au Code du travail.

Le second décret met en conformité des dispositions du décret du 6 septembre 1989 relatif aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et portant création des fonds communs de créances avec les dispositions de la loi du 19 février 2001. Son contenu, très technique, ne sera pas développé dans le cadre du présent article.

La publication d'une importante circulaire interministérielle, reprenant et commentant l'intégralité des textes publiés sur l'épargne salariale, est attendue; le texte de cette instruction sera reproduit intégralement dans un prochain Bulletin.

I. Dispositions communes aux différents dispositifs d'épargne salariale

A. Aménagement des formalités de dépôt des accords et des plans d'épargne (C. trav., art. A.444-1-1)

Les règlements des accords d'intéressement, de participation et, désormais, des PEE doivent être déposés à la DDTEFP du lieu où ils ont été établis. Cette obligation conditionne le droit aux exonérations sociales et fiscales attachées à ces dispositifs.

Le décret du 31 juillet 2001 complète la liste des documents à déposer, pour tenir compte des particularités de mise en oeuvre des différents dispositifs d'épargne salariale.

Ainsi, lorsqu'un plan d'épargne d'entreprise est mis en place par décision unilatérale de l'employeur, ce dernier a l'obligation de consulter les représentants du personnel sur le projet de règlement du plan quinze jours avant son dépôt. Le procès-verbal de consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel devra être déposé avec le règlement du plan.

Par ailleurs, la teneur de l'accord déposé par l'entreprise, mettant en place un dispositif de participation ou d'intéressement des salariés en application d'un accord de branche, diffère selon les options offertes dans l'accord de branche.

Si l'accord de branche ouvre des choix aux parties signataires au niveau de l'entreprise, l'accord déposé par l'entreprise peut ne contenir que les clauses résultant de ces choix.

Si l'accord n'ouvre pas de possibilité de choix ou ouvre un choix qui n'a pas été exercé, l'entreprise notifie purement et simplement à la DDTEFP son adhésion à l'accord de branche.

Enfin, lorsque l'entreprise, dans un accord d'intéressement, prend en compte pour le calcul des sommes servies aux salariés les résultats des filiales de l'entreprise, comme l'y autorise la loi du 19 février 2001, le texte de l'accord déposé doit s'accompagner de la liste des de ces entreprises dont le siège social est situé en France. Il doit être fait mention, pour chaque filiale concernée, de l'adresse du siège social, des effectifs, ainsi que des dates de conclusion, d'effet et de dépôt de l'accord d'intéressement en vigueur dans l'entreprise.

Pour les filiales non couvertes par un accord, selon qu'elle détient ou non directement ou indirectement la majorité des droits de vote, l'entreprise doit adresser à la DDTEFP, dans le délai de quatre mois à compter de la conclusion de l'accord d'intéressement, une copie des convocations des parties à négocier ou une copie de sa demande aux présidents ou gérants desdites entreprises d'engager une telle négociation.

Il semble qu'aux termes de la loi du 19 février 2001, le non-respect de cet engagement soit sanctionné par la perte du droit à exonérations sociales ou fiscales, sans pour autant que soit remise en cause la validité de la formule de calcul de l'intéressement. Le décret du 31 juillet 2001 n'apporte aucune précision sur ce point.

B. Précisions sur le contenu du livret d'épargne salariale (C. trav., art. A. 443-1-3)

La loi du 19 janvier 2001 impose à l'entreprise de délivrer à tout salarié quittant l'entreprise un état récapitulatif des sommes et valeurs mobilières épargnées ou transférées au sein de l'entreprise dans le cadre de la participation, de l'intéressement ou d'un plan d'épargne.

Aux termes du décret du 31 juillet 2001, cet état récapitulatif doit porter les mentions suivantes :

- l'identification du bénéficiaire ;

- la description de ses avoirs acquis ou transférés par accord de participation et plans d'épargne dans lesquels il a effectué des versements, avec mention de leurs dates de disponibilité ;

- l'identité et l'adresse des teneurs de registre administratif retraçant les sommes affectées aux plans d'épargne auprès duquel le bénéficiaire a un compte.

Les états récapitulatifs sont insérés dans un livret d'épargne salariale. Ce livret est remis au salarié, lors de son départ de l'entreprise, lorsqu'il reçoit pour la première fois l'état récapitulatif de l'ensemble des sommes épargnées ou transférées au sein de l' entreprise.

Le décret du 31 juillet 2001 précise que ce livret est établi sur tout support durable et comporte, outre les états récapitulatifs :

- un rappel des dispositions légales relatives au transfert des sommes épargnées (C. trav., art. L. 443-2), au devenir des sommes épargnées lorsque le bénéficiaire ne peut être joint à la dernière adresse connue (C. trav., art. R. 442-16) et aux cas de déblocage anticipé de la participation et des plans d'épargne salariale (C. trav., art. R.442-17, R.443-12 et R. 443-13) ;

- une attestation indiquant le montant des droits liés à la réserve spéciale de participation et la date de répartition des droits éventuels au titre de l'exercice en cours.

C. Modalités pratiques de transfert des sommes épargnées dans un plan d'épargne (C. trav., art. A.444-1-4)

La loi du 19 janvier 2001 permet au salarié, ayant rompu son contrat de travail et changeant d'entreprise, de transférer les sommes détenues dans le cadre d'un plan d'épargne ou au titre de la participation, dont il n'a pas demandé la délivrance au moment de son départ, vers le plan d'épargne dont il bénéficie chez son nouvel employeur, en assurant la neutralité de l'opération: les sommes transférées ne donnent pas lieu à prélèvements sociaux et ne sont pas prises en compte pour l'appréciation du plafond des versements annuels du salarié sur un PEE (égal au quart de sa rémunération annuelle).

Ces dispositions concernent également le transfert de sommes détenues par le salarié dans le cadre d'un plan d'épargne interentreprises vers un plan d'épargne d'entreprise conclu dans son entreprise.

Aux termes du décret du 31 juillet 2001, le transfert s'opère de la façon suivante.

Lorsque le transfert est effectué vers un plan dont le salarié bénéficie au sein de la nouvelle entreprise qui l'emploie, le salarié précise à l'entreprise, dans sa demande de transfert, l'affectation de son épargne au sein du plan ou des plans qu'il a choisis. Lorsque le transfert est effectué vers un plan dont le salarié bénéficie au titre d'un nouvel emploi, il communique à l'entreprise qu'il a quittée les noms et adresses de son nouvel employeur et de l'établissement qui tient le registre des sommes affectées aux plans d'épargne; ces derniers doivent également être informés par ses soins du transfert et de l'affectation de son épargne.

A réception de la demande, l'entreprise procède elle-même à la liquidation des sommes bloquées et demande à l'établissement chargé de la tenue du registre des sommes affectées aux plans d'épargne la liquidation des actions ou parts détenues au sein des plans d'épargne. Ensuite, elle assure le transfert des sommes correspondantes vers le plan concerné, en indiquant les périodes d'indisponibilité courues; en effet, ces périodes sont prises en compte dans l'appréciation du délai de blocage de l'épargne.

Il. Dispositions spécifiques aux plans d'épargne salariale

A. Définition des formules de placement offertes aux salariés (C. trav., art. A. 443-2)

Les règlements des plans d'épargne doivent comporter en annexe les critères de choix et la liste des instruments de placements ainsi que les notices des SICA V et des FCP offerts aux adhérents. L'identité du ou des FCP est précisée au plus tard six mois après le dépôt du plan à la DDTEFP.

Lorsqu'un plan offre plusieurs formules de placement, le règlement précise les modalités selon lesquelles l'adhérent peut modifier l'affectation de son épargne entre ces différentes formules. Toutefois, le règlement peut prévoir des restrictions à la possibilité offerte à l'adhérent de modifier son choix de placement initial et les modifications pouvant intervenir à l'occasion du départ du salarié de l'entreprise.

Les signataires de l'accord peuvent modifier l'affectation de l'épargne des salariés investie dans les organismes de placement collectif en valeurs mobilières lorsque les caractéristiques des nouveaux organismes sont identiques à celles des organismes antérieurs.

B. Mentions spécifiques du règlement d'un PEI dispensant l'entreprise de la conclusion d'un accord de participation (C. trav., art. A. 443-1-1)

Le règlement d'un plan d'épargne interentreprises (PEI) peut prévoir de recueillir les sommes issues de la participation des salariés. L'accord instituant le PEI dispense les entreprises de moins de cinquante salariés qui souhaitent la mise en place d'un tel dispositif de conclure un accord de participation.

Dans ce cas, le décret du 3} juillet 2001 indique expressément que l'accord doit contenir la formule de calcul de la réserve de participation, et si cette formule est dérogatoire à la formule légale, l'accord doit mentionner la clause d'équivalence des avantages et l'un des quatre plafonds applicables (moitié du bénéfice net comptable, ou bénéfice net comptable diminué de 5 % des capitaux propres, ou bénéfice net fiscal diminué de 5% des capitaux propres, ou encore moitié du bénéfice fiscal).

Le règlement d'un plan d'épargne interentreprises doit préciser les modalités de la contribution des entreprises, qui ne peut être inférieure à la prise en charge des frais de tenue de compte.

C. Possibilité pour l'employeur de reporter le versement de son abondement (C. trav., art. A. 443-4)

L'affectation au plan des sommes complémentaires que l'entreprise s'est engagée à verser intervient, en principe, concomitamment aux versements de l'adhérent; le décret du 3} juillet 2001 prévoit que ces versements complémentaires peuvent être reportés au plus tard à la fin de chaque exercice, sauf pour les salariés quittant l'entreprise.

D. Tenue obligatoire par l'entreprise d'un registre des sommes affectées au plan d'épargne (C. trav., art. A.443-5)

L'entreprise doit tenir un registre des comptes administratifs ouverts au nom de chaque adhérent retraçant les sommes affectées aux plans d'épargne; ce registre comporte pour chaque adhérent la ventilation des investissements réalisés et les délais d'indisponibilité restant à courir.

La tenue de ce registre peut être déléguée: dans ce cas, le contrat de délégation doit préciser les modalités d'information du délégataire. Les coordonnées du teneur de registre sont mentionnées dans le règlement des plans.

L'accord instituant un plan d'épargne interentreprises (PEI) désigne les sociétés ou établissements qui sont chargés de la tenue du registre administratif. La personne chargée de la tenue de ce registre établit un relevé des actions ou des parts appartenant à chaque adhérent.

Une copie de ce relevé est adressée au moins une fois par an aux intéressés, avec l'indication de l'état des comptes.


E. Exceptions à l'impossibilité d'alimenter son plan d'épargne pour le salarié quittant son entreprise (C. trav., art. A.443-8)

L'ancien salarié de l'entreprise, qui l'a quittée pour un motif autre qu'un départ en retraite ou en préretraite, ne peut effectuer de nouveaux versements aux plans d'épargne salariale.

Toutefois, lorsque le versement de l'intéressement au titre de la dernière période d'activité du salarié intervient après son départ de l'entreprise, il peut affecter ces sommes au plan d'épargne de l'entreprise qu'il vient de quitter. Ce versement peut faire l'objet d'un versement complémentaire de la part de l'employeur si le règlement du plan le prévoit.

F. Énumération des cas de déblocage anticipé des sommes épargnées dans un PPESV (C. trav., art. A.443-12)

La durée minimale d'un plan partenarial d'épargne salariale volontaire (PPESV) est de dix ans (à compter du premier versement pour le PPESV à terme fixe, ou à compter du versement de chaque somme, pour le PPESV à terme glissant). Le décret du 31 juillet 2001 envisage sept cas dans lesquels les sommes ou valeurs détenues sur le PPESV peuvent être débloquées avant l'expiration du délai susvisé.

Ainsi, les sommes épargnées dans un PPESV peuvent être liquidées par anticipation, à la demande du titulaire du plan ou des ses ayants droit, en cas de :

- décès du bénéficiaire, de son conjoint, ou de la personne qui lui est liée par un pacs ;
- départ à la retraite ou licenciement ;
- expiration des droits à l'assurance chômage du titulaire ;
- invalidité du bénéficiaire, de ses enfants, de son conjoint ou de la personne liée par un pacs ;
- surendettement du salarié ;
- création ou reprise par le bénéficiaire, par son conjoint ou par ses enfants d'une entreprise;
- agrandissement, achat ou remise en état, à la suite de dommages causés par des catastrophes naturelles, de la résidence principale.

Le PPESV étant un produit d'épargne à long terme, les possibilités offertes au salarié de débloquer par anticipation son épargne sont plus restreintes que celles prévues pour les sommes versées au tire de la participation sur un PEE.

N'ont pas ainsi été retenus comme cas de déblocage anticipé des droits acquis dans un PPSEV : la démission ou la rupture amiable du contrat de travail, le mariage ou le pacs, la naissance ou l'adoption, le divorce ou la dissolution du pacs.

La demande doit être présentée dans les six mois en cas de création d'entreprise, d'achat de la résidence principale ou des dommages liés à une catastrophe naturelle; dans les autres cas, la demande peut être faite à tout moment.

La levée de l'indisponibilité se fait sous la forme d'un versement unique qui porte, au choix de l'adhérent, sur tout ou partie de ses droits.

III. Dispositions spécifiques à l'intéressement

A. Formalités liées à la modification ou à la dénonciation de l'accord d'intéressement (C. trav., art. R. 441-1)

L'accord d'intéressement doit être modifié ou dénoncé dans les mêmes formes et les mêmes délais que sa conclusion, c'est-à-dire avec l'accord de toutes les parties signataires, sauf lorsque la modification de l'accord répond à la nécessité de mettre en conformité les clauses que la DDTEFP a considérée comme contraires aux dispositions légales ou réglementaires.

Aux termes du décret du 31 juillet 2001 :

- l'avenant portant modification de l'accord doit être déposé à la DDTEFP selon les mêmes formalités et les mêmes délais que l'accord lui-même, soit dans les quinze jours de sa conclusion ;

- la dénonciation de l'accord d'intéressement, pour être applicable à l'exercice en cours, doit respecter les mêmes conditions et de délais et de dépôt que l'accord lui-même. En d'autres termes, l'accord portant dénonciation de l'accord d'intéressement doit être conclu avant le premier jour du septième mois de l'exercice et être déposé dans les quinze jours de sa conclusion.

B. Critères de répartition entre salariés de l'intéressement (C. trav, art., R. 441-2)

Selon l'article L. 441-2 du Code du travail, la répartition entre les salariés de l'intéressement peut être uniforme, proportionnelle aux salaires ou à la durée de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice, ou retenir conjointement ces différents critères. Sont assimilées à des périodes de présence les absences consécutives à un accident du travail, à une maladie professionnelle, à un congé maternité ou à un congé d'adoption.

Le décret du 31 juillet 2001 prévoit expressément qu'en cas de répartition proportionnelle aux salaires, les salaires à prendre en compte au titre des périodes d'absences sus-visées sont ceux qu'aurait perçus le bénéficiaire s'il avait été présent.

C. Renforcement de l'information du salarié sur les primes distribuées au titre de l'intéressement (C. trav., art. R.441-2)

L'accord d'intéressement doit faire l'objet de la remise à chaque salarié bénéficiaire de l'accord d'une note d'information mentionnant notamment le devenir des sommes qui n'ont pu être remises au salarié faute de pouvoir être joint à la dernière adresse indiquée.

La fiche remise au salarié lors de l'attribution des sommes, distincte du bulletin de paie, ayant pour objet de l'informer de la répartition de l'intéressement est actualisée. Doivent y figurer: le montant global de l'intéressement, le montant moyen perçu par les bénéficiaires, celui des droits attribués aux salarié ainsi que les retenues opérées au titre des CSG et CRDS. y est annexée une note rappelant les règles de calcul et de répartition prévues par l'accord.

Ces documents (note d'information et fiche individuelle) doivent être adressés aux salariés susceptibles de bénéficier de l'intéressement qui ont quitté l'entreprise avant que l'intéressement ne se mette en place, ou avant que le calcul de l'intéressement n'ait été effectué.

IV. Dispositions spécifiques à la participation

A. Modification de la formule de calcul de la réserve de participation (C. trav., art. R. 442-2)

Les salaires à retenir pour le calcul de la réserve spéciale sont ceux prévus pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale, et non plus ceux pris en compte pour la taxe sur les salaires. La référence à l'assiette des cotisations de Sécurité sociale n'a toutefois pas de conséquences sur la formule légale de calcul de la réserve, les deux assiettes étant désormais uniformisées.

B. Relèvement du montant maximal des droits attribués, par exercice, au salarié (C. trav., art. R. 442-6)

Le montant maximal des droits susceptibles d'être attribués à un même salarié ne peut, pour un même exercice, excéder une somme égale aux trois quarts du plafond annuel de la Sécurité sociale (et non plus égale à la moitié dudit plafond).

C. Précisions sur les modalités selon lesquelles le salarié peut changer la formule de placement de son épargne (C. trav., art. R. 442-12)

Lorsque l'accord de participation offre plusieurs formules de placement, il précise les modalités selon lesquelles le salarié peut modifier l'affectation de son épargne. L'accord peut prévoir des cas où une modification du choix est restreinte et préciser les modifications d'affectation pouvant intervenir à l'occasion du départ du salarié de l'entreprise.

Par ailleurs, les signataires de l'accord peuvent modifier l'affectation de l'épargne des salariés investie dans des organismes de placement collectif en valeurs mobilières, lorsque les caractéristiques des nouveaux organismes sont identiques à celles des organismes précédents.

D. Information accrue du salarié sur le montant de sa participation (C. trav., art. R. 442-15)

L'information du salarié sur les sommes et valeurs qu'il détient au titre de la participation doit intervenir dans les six mois de la clôture de chaque exercice.

Lorsque le salarié quitte l'entreprise sans faire valoir ses droits à déblocage ou avant que l'entreprise n'a été en mesure de liquider à la date de son départ la totalité des droits dont il est titulaire, l'employeur doit :

- lui remettre l'état récapitulatif de ses droits ;

- lui demander l'adresse à laquelle devront lui être envoyés les avis de mise en paiement des dividendes et d'échéance des intérêts, des titres remboursables et des avoirs devenus disponibles, et le cas échéant le compte sur lequel les sommes correspondantes devront lui être versées.

E. Précisions sur les modalités de déblocage anticipé de la participation (C. trav., art. R.442-17)

Les sommes acquises par le salarié au titre de la participation sont indisponibles pendant un délai de cinq ans.

Les neuf cas permettant la liquidation anticipée de ces sommes sont actualisés et prennent désormais en compte l'instauration du pacs, l'invalidité des enfants, la création, la reprise d'une entreprise par les enfants du salarié ou l'acquisition de parts sociales d'une société coopérative de production, ainsi que la remise en état de la résidence principale à la suite d'une catastrophe naturelle.

En outre, des précisions complémentaires sur les modalités pratiques de ce déblocage anticipé sont apportées :

- le salarié doit désormais présenter sa demande de déblocage anticipé de ses droits dans les six mois à compter du fait générateur, en cas de mariage ou conclusion d'un pacs, de naissance ou d'adoption, de divorce, séparation ou dissolution d'un pacs, de reprise d'une entreprise ou d'agrandissement, d'achat, de remise en état de sa résidence principale. Dans les autres cas (cessation du contrat de travail, décès, invalidité, et surendettement du salarié), aucun délai n'est fixé: la demande peut être faite à tout moment ;

- la levée de l'indisponibilité intervient sous forme d'un versement unique qui porte, au choix du salarié, sur tout ou partie des droits susceptibles d'être débloqués.

Le décret sus-visé prévoit expressément que le jugement arrêtant le plan de cession totale de l'entreprise ou le jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire de l'entreprise rend immédiatement exigibles les droits à participation non échus.

 

 

Juillet 2001

Rémunération contractuelle

Cass. soc., 3 juillet 2001, n° 99-40.641 FS-P + B, Pierre c/Sarl Transports Sicot et a.

Vu l'article 1134 du Code civil et les articles L. 122-4 et L. 122-14-3 du Code du travail; Attendu que M. Pierre a été embauché comme chauffeur routier par contrat verbal le 28 juin 1988 ; que, par lettre du 25 janvier 1997, il a mis fin à la relation contractuelle en soutenant que l'inexécution par l'employeur de ses obligations entraînait un licenciement; qu'il a saisi le conseil de prud'hommes pour obtenir le paiement de diverses sommes ;

Attendu que pour dire que la rupture du contrat de travail ne s'analysait pas en un licenciement et débouter le salarié de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire et de congés payés afférents, d'une indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel, après avoir relevé que le salarié, rémunéré jusqu'en septembre 1995 sur la base de 169 heures de travail par mois au taux horaire de 50, 769 R avait été payé ensuite en fonction du nombre d'heures réellement effectuées, au taux horaire de 38,20 R en application de l'accord du 23 novembre 1994, retient que si le taux horaire pratiqué à compter du 1er octobre 1995 a effectivement baissé de manière sensible du fait de la prise en compte dans le bulletin de salaire de la totalité des heures effectuées par le salarié et de la rémunération des heures supplémentaires qui n'a pas quantitativement augmenté à partir de cette date, la "restructuration" des bulletins de paie n'a toutefois eu aucune incidence sur le montant de sa rémunération ;

Attendu cependant que le taux horaire du salaire prévu par le contrat de travail ne pouvait être modifié unilatéralement par l'employeur;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que l'accord collectif du 23 novembre 1994, s'il prévoyait une prise en compte de toutes les heures de travail effectuées et une garantie du maintien du salaire, ne permettait pas à l'employeur de diminuer le salaire horaire contractuel, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

 

Juillet 2001
Rémunération contractuelle

Cass. soc., 3 juillet 2001, n° 99-42.761 FS-P, Aviceau c/SA Trouvay et Cauvin


Vu l'article 1134 du Code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Adjal a été engagée le 5 juillet 1976 par la société Trouvay et Cauvin en qualité d'employée de machines de bureau, coefficient 155 de la convention collective des industries métallurgiques; que sa rémunération était déterminée selon deux paramètres, d'une part le coefficient hiérarchique conventionnel, d'autre part un coefficient individuel correspondant à la valeur professionnelle du salarié; que faisant valoir que lors de son passage du coefficient 155 au coefficient 170, son salaire n'avait pas progressé pour autant, l'employeur ayant diminué son coefficient individuel, Mme Adjal a saisi la juridiction prud'homale; Attendu que pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'un rappel de salaire et de congés payés y afférents, la cour d'appel énonce que l'intéressée a toujours perçu un salaire au moins équivalent au smic et au minimum prévu par la convention collective; que l'absence d'augmentation de salaire consécutive au refus d'augmentation du coefficient individuel relevait du pouvoir de direction de l'employeur; qu'il ressort des pièces produites que les mesures salariales étaient fondées sur la seule appréciation des qualités professionnelles et qu'elles ne dissimulaient aucune sanction pécuniaire illicite; que l'intéressée ne peut soutenir n'avoir pas eu connaissance de son coefficient individuel puisqu'il lui suffisait d'en demander la communication à son employeur; qu'aucune fraude de ce dernier n'est démontrée;

Mais attendu que le mode de rémunération contractuelle d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord, peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode de rémunération serait plus avantageux que l'ancien; qu'une clause du contrat de travail ne peut valablement permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la rémunération d'un salarié malgré l'élévation de son coefficient hiérarchique n'avait pas augmenté au motif que son coefficient "d'individualisation", déterminé en fonction de sa valeur professionnelle et de la qualité du travail fourni, avait été abaissé corrélativement par une décision unilatérale de l'employeur, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, d'où il résultait une modification du contrat de travail de l'intéressée, et a violé le texte susvisé.

 

Mai 2001

Comités d'établissement et comité central d'entreprise L

Subvention de fonctionnement : répartition

Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-10.127 FS- P + B,
SA Rhodia c/CCE Rhône-Poulenc Chimie de base et a.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 9 novembre 1998) que la société Rhône-Poulenc, aux droits de laquelle se trouve la société Rhodia, versait une subvention de fonctionnement au comité central d'entreprise, qui, après avoir opéré un prélèvement pour assurer ses besoins, la répartissait ensuite entre les différents comités d'établissement; que le comité d'établissement de Pont-de-Claix, soutenant qu'il n'avait pas été rempli de ses droits, a réclamé le versement direct de la subvention lui revenant, depuis 1982;

Sur le premier moyen:

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris ayant condamné la société à payer la somme de 1303502 F au comité d'établissement de Pont-de-Claix et donné acte au comité d'établissement de Saint-Fons de ce qu'il se réservait la possibilité de lui demander le versement d'un complément de subvention; alors, selon le moyen:

1° que l'article L. 434-8 du Code du travail ne prévoit le versement d'une subvention de fonctionnement par l'employeur qu'au profit du seul comité d'entreprise ; qu'en décidant que le comité d'établissement de Pont-de-Claix avait droit à un complément de subvention de fonctionnement et en condamnant la société à lui verser ce complément, la cour d'appel a violé le texte susvisé;

2° qu'en répartissant, dans la pratique, les subventions entre les comités d'établissements, l'employeur n'agit que comme mandataire du comité central d'entreprise; qu'aux termes de l'article 1998 du Code civil, le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné mais n'a aucun pouvoir propre; qu'en condamnant la société Rhône-Poulenc à payer un complément de subvention de fonctionnement alors que la société n'était que mandataire du comité central d'entreprise, la juridiction du fond a violé l'article 1998 du Code civil;

Mais attendu, d'abord, que le comité d'établissement est doté de la personnalité juridique comme le comité d'entreprise et qu'en application de l'article L. 435-2 du Code du travail sa composition et son fonctionnement sont calqués sur ceux du comité d'entreprise; qu'il en résulte qu'il doit bénéficier d'une subvention de fonctionnement; Attendu, ensuite qu'il ne résulte d'aucun texte que le comité central d'entreprise a qualité pour répartir la subvention de fonctionnement entre les comités d'établissement et que, dès lors, la société Rhône-Poulenc qui doit verser le montant de la subvention à chaque comité d'établissement rie peut se prévaloir d'un mandat du comité central; que le moyen n'est pas fondé;

Sur le deuxième moyen:

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris ayant condamné la société exposante à payer la somme de 1303502 F au comité d'établissement de Pont-de-Claix, donné acte au comité d'établissement de Saint-Fons de ce qu'il se réservait la possibilité de demander à l'exposante le versement d'un complément de subvention; alors, selon le moyen:

1° que la subvention de fonctionnement de 0,2% de l'article L. 434-8 du Code du travail est distincte de celle liée aux activités sociales et culturelles prévues à l'article L. 432-9 du Code du travail; que la cour saisie d'un litige relatif à la subvention de fonctionnement de 0,2% ne pouvait, pour condamner la société, se fonder sur les articles L. 435-2 et L. 435-3 du Code du travail relatifs à la gestion des activités sociales et culturelles de l'entreprise; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles L. 434-8, L. 432-9, L. 435-2, L. 435-3, ensemble l'article R. 432-11 du Code du travail;

2° que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties; qu'en l'espèce le comité d'établissement de Pont-de-Claix sollicitait la condamnation de l'employeur à lui verser un complément de subvention de fonctionnement; qu'en se fondant sur les principes régissant la subvention versée en raison des œuvres sociales et culturelles du comité d'entreprise, la cour d'appel a méconnu les termes du litige qui lui était soumis et partant violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

3° qu'aux termes du paragraphe 2-2 de la circulaire du 6 mai 1983 pris en son 2" alinéa, pour déterminer la répartition de la subvention, une négociation doit s'engager entre le comité central d'entreprise et les comités d'établissements afin d'apprécier les besoins respectifs, seule manière de fixer les règles adoptées à l'entreprise considérée; qu'en décidant qu'à défaut d'accord unanime sur la répartition entre les comités d'entreprise et le comité central d'entreprise il appartenait au juge judiciaire de fixer une clef de répartition, la cour d'appel a dénaturé la circulaire susvisée et a commis un excès de pouvoir au regard de l'article L. 434-8 du Code du travail;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé qu'en principe la subvention de fonctionnement était due aux comités d'établissement ; Attendu, en deuxième lieu, que le comité central d'entreprise, ayant lui-même des frais de fonctionnement, et la loi ne lui accordant pas un droit propre, il est légitime que les comités d'établissement lui rétrocèdent une partie de leur subvention de fonctionnement ;

Attendu enfin que les comités d'établissement n'ayant pu trouver un accord avec le comité central d'entreprise sur le montant de cette rétrocession, il appartenait au juge judiciaire d'arbitrer le différend en en fixant lui-même le montant de la rétrocession.

 

Février 2001
Cass. soc., 14 févr. 2001, n° 98-46.149, arrêt 684 FS-P+B

Un syndicat peut ester en justice pour faire appliquer un accord qu'il n'a pas signé

Par une exacte interprétation de l'article L. 135-4 du Code du travail, la Cour de cassation a jugé qu'un syndicat non signataire d'un accord peut se joindre à l'action de salariés qui en réclament l'application.

 

CHRONIQUES

 

Août 2001

L'incidence d'une modification de la durée et de l'aménagement du temps de travail sur le contrat de travail

Par Dominique Asquinazi- Bailleux

Depuis que la Cour de cassation a récusé la distinction entre modifications substantielles et modifications non substantielles du contrat de travail pour adopter la distinction modification du contrat et changement des conditions de travail elle s'emploie à délimiter ce qui relève de la sphère contractuelle. Les auteurs s'accordent à retenir quatre éléments caractéristiques du " socle contractuel " : le salaire, la prestation de travail mais également, à un moindre degré, le lieu et la durée du travail. Tant que l'importance de la modification, appréciée subjectivement, constituait le critère de la distinction, il n'y avait pas lieu de s'interroger sur la contractualisation de tel ou tel élément. A partir du moment où la Cour tente d'objectiver la sphère contractuelle et partant les solutions jurisprudentielles, le critère déterminant est de savoir si l'élément, objet du changement, est ou non dans le champ contractuel. L'incidence de la mesure prise par l'employeur devrait dépendre de la nature de l'élément qu'elle affecte : si celui-ci est compris dans le contrat, il s'agit d'une modification du contrat qui requiert l'accord du salarié sur le fondement de l'article 1134 du Code civil; si, au contraire, il est extérieur au contrat, il ne s'agit que d'un simple changement des conditions de travail que le salarié se doit d'accepter en vertu du rapport de subordination. A cet égard, l'élément " durée du travail ", mais également " organisation du temps de travail " offre un champ d'investigations semé d'incertitudes.

Il est normalement admis que la modification unilatérale du contrat de travail est un processus qui témoigne de la volonté d'un cocontractant de modifier un élément du contrat'!. il s'agit d'un processus propre à la relation individuelle de travail. Autrement dit, seule la décision unilatérale de l'employeur - cocontractant - devrait pouvoir modifier le contrat de travail. L'incidence éventuelle sur le contrat d'une modification ne devrait donc s'apprécier qu'au regard de la décision unilatérale de son auteur. Pourtant, en revitalisant le contrat de travail et en rebâtissant ses contours le juge invite également à vérifier que des normes relevant du statut collectif ne sont pas susceptibles de modifier certains de ses éléments et donc de requérir l'accord du salarié . A cet égard, l'organisation du temps du travail est largement encadrée par des normes collectives.

A la suite de l'arrêt Bonimond du 20 octobre 1998 affirmant que " la durée du travail telle que mentionnée au contrat de travail, constitue, en principe, un élément du contrat...", les auteurs se sont interrogés sur la capacité de résistance du contrat de travail face à un accord dérogatoire, ou à un accord de réduction de la durée du travail initié par la première loi Aubry du 13 juin 1998. Il est vrai que la Cour de cassation juge également qu' "un accord collectif ne peut modifier sans l'accord des salariés concernés, les droits qu'ils tiennent de leur contrat de travail".

En réponse à cette jurisprudence, le nouvel article L.212-3 du Code du travail issu de la loi du 19 janvier 2000 dispose que "la seule diminution du nombre d'heures stipulées au contrat de travail, en application d'un accord de réduction de la durée du travail, ne constitue pas une modification du contrat de travail". Ce texte écarte implicitement la règle de faveur édictée par l'article L.135-2 du Code du travail qui résout le conflit entre la convention collective et le contrat de travail au profit de ce dernier. Sans remettre en cause l'autonomie du statut collectif et du contrat de travail, ce texte sous-entend que le contrat peut se trouver modifié par un accord de réduction du temps de travail qui impose des sujétions distinctes de la seule diminution du nombre d'heures.

La question de la capacité de résistance du contrat de travail à l'accord collectif reste d'importance dans la mesure où la négociation annuelle traite plus particulièrement de l'aménagement du temps de travail et de la durée du travail. Dès lors, il est permis de se demander si le salarié peut s'opposer à des dispositions conventionnelles d'aménagement du temps du travail (modulation des horaires, mise en place d'équipes de suppléance...) qui entrent en contradiction avec son contrat de travail. A l'inverse, peut-il prétendre au maintien de droits issus du statut collectif alors même que son contrat de travail ne contient aucune mention sur l'élément revendiqué ? La réponse devrait dépendre a priori moins de la source de la modification que de ce qu'il faut intégrer dans la sphère contractuelle lorsque l'on y désigne la durée du travail.

En revanche, l'article L. 212-3 du Code du travail ne règle pas la question de la seule diminution de la durée du travail par application de la loi. La réponse à cette question n'est pas indifférente si on rappelle que le montant de la rémunération est directement proportionnel, dans la plupart des cas, au nombre d'heures effectuées. Comme toute question débattue, elle a rencontré des opinions divergentes. Pour les uns, la rémunération est un élément contractuel par nature qui ne peut être modifié sans l'accord du salarié, y compris lorsque l'employeur reçoit l'ordre de la loi de réduire la durée du travail. Pour les autres, au contraire, l'effet mécanique de la diminution de salaire consécutivement à la réduction licite de la durée du travail ne modifie pas la rémunération contractuelle. Le législateur n'a d'ailleurs exigé un complément différentiel de salaire qu'au profit des salariés rémunérés au SMIC. Les partenaires sociaux sont invités à négocier des compensations financières au profit des autres catégories. Le 27 mars 2001, la Chambre sociale a jugé que la réduction hebdomadaire de la durée du travail, résultant d'un accord collectif étendu, qui entraîne une perte effective de la rémunération contractuelle, constitue une modification du contrat de travailI1!,. Cependant, cette position jurisprudentielle ne préjuge pas de la réponse quand seule la réduction de la durée du travail est en cause. La réduction, aux échéances 2000 et 2002, du nombre d'heures stipulées au contrat entraîne-t-elle une modification du contrat de travail ?

A première vue, la réponse à cette question peut sembler bien théorique tant il est vrai que la plupart des salariés n'envisage pas de se plaindre de l'accroissement de leur temps de loisirs et de la réduction corrélative de leur temps de travail. Cependant, la réponse donnée à la contractualisation de la durée du travail conditionne également les situations juridiques où l'employeur entend unilatéralement modifier la durée du travail hebdomadaire en exigeant l'accomplissement d'heures supplémentaires ou bouleverser l'organisation du temps de travail pour un ou plusieurs salariés.

Avec l'arrêt Dugard du 9 mars 1999, la Cour de cassation précise que " les heures supplémentaires imposées, dans la limite du contingent dont l'employeur dispose légalement et en raison des nécessités de l'entreprise n'entraîne pas de modification du contrat ". Cette jurisprudence ne manque pas de surprendre après l'arrêt Bonimond du 20 octobre 1998. Des commentateurs s'étaient d'ailleurs interrogés sur la liberté que conservait l'employeur de faire exécuter des heures supplémentaires.

En effet, n'est-il pas contradictoire d'affirmer que la durée du travail est un élément contractuel et dans le même temps reconnaître que l'accomplissement d'heures supplémentaires relève d'un simple changement des conditions de travail ? Ou pire encore, juger que la mise au chômage partiel n'a pas pour effet de modifier le contrat de travail ? Pour certains commentateurs, le principe formulé autorise nécessairement des exceptions ; pour d'autres, le régime juridique des heures supplémentaires et du chômage partiel constitue des " limites particulières " à la contractualisation par nature de la durée du travail. Pour certains, enfin, ces contradictions démontrent que la nouvelle distinction retenue par la Cour de cassation entre modification du contrat et changement des conditions du travail est " contestable ".

En opposant la modification du contrat de travail au simple changement des conditions de travail, la Cour de cassation renonce à s'interroger sur l'importance du changement et à son incidence sur la vie personnelle du Salarié. Elle bannit le critère subjectif du préjudice causé au salarié et partant, elle s'inscrit en contradiction avec une des caractéristiques du contrat qui est l'individualisation de la relation.

Dès lors, il est particulièrement périlleux de justifier l'ensemble des décisions jurisprudentielles qui touchent à la durée ou à l'aménagement du temps de travail dans la mesure où la Cour ne réintroduit le critère subjectif qu'à l'occasion de l'appréciation de l'existence ou non d'une faute grave consécutivement au refus d'un changement des conditions de travail. Partant, sa jurisprudence tend à faire du contrat de travail un contrat " type ", sorte de contrat pré-imprimé qui présente l'originalité d'échapper, en partie, à la volonté des deux parties, hormis le cas où celles-ci ont manifesté une volonté particulière.

Puisqu'il est communément admis que pour déterminer l'existence d'une modification du contrat de travail, il convient de rechercher si l'élément modifié est un élément contractuel ou non, la distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail devrait dépendre de la nature de l'élément modifié (I). Plus encore, puisque cette asepsie du contrat de travail a fait craindre que sa force obligatoire serait la même quelque soit le fait générateur de la modification : normes collectives ou décision unilatérale de l'employeur, il nous appartient de vérifier si la distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail dépend de l'origine de la modification (II).

1. La distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail dépend-elle de la nature de l'élément modifié ?

La question de savoir si l'élément modifié est ou non contractuel est particulièrement délicate à résoudre dans la mesure où les éléments touchant à la durée ou à l'aménagement du temps de travail n'ont pas vocation à intégrer la sphère contractuelle en raison de leur nature collective. Néanmoins, le contentieux, particulièrement abondant, nous enseigne que face à une décision unilatérale de l'employeur désirant modifier un ou plusieurs de ces éléments, la force obligatoire du contrat est appelée à jouer. Le domaine des conditions du travail s'en trouve réduit proportionnellement dans une matière relevant a priori plutôt du pouvoir de direction de l'employeur. Dès lors, il nous appartient, au regard des seules décisions où la volonté unilatérale du cocontractant se manifeste, de tenter de classer ces éléments.

Pour ce faire, il convient d'opposer les éléments contractualisés indépendamment de toute volonté exprimée [A] aux éléments contractualisés par la volonté délibérée des parties contractantes [B].

A. Les éléments contractualisés indépendamment de toute volonté exprimée

Lorsqu'il s'agit d'apprécier la contractualisation de la durée du travail, il apparaît très vite nécessaire de dissocier l'aménagement ou l'organisation du temps de travail du volume horaire de la prestation convenue.

Depuis l'arrêt Bonimond du 20 octobre 1998 qui affirme que la durée du travail, telle que mentionnée au contrat de travail, constitue, en principe, un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l'accord du salarié, il est couramment admis que le volume de la prestation est un élément contractuel par nature. Il est vrai que l'arrêt ne désigne comme élément contractuel que la durée " mentionnée " au contrat. En l'espèce, le contrat de travail indiquait une durée de 39 heures et l'employeur souhaitait accroître cette durée de 2 heures hebdomadaire en l'assortissant d'une nouvelle répartition des heures de travail. Même accompagnée d'une augmentation de salaire, la salariée a été en droit de la refuser. En réalité, cet arrêt de répond pas clairement à la question de savoir si la durée du travail est ou non un élément par nature du socle contractuel.

La durée légale de travail n'est pas un horaire effectif imposé aux entreprises. Elle constitue essentiellement le seuil de déclenchement des dispositions légales relatives aux heures supplémentaires ou encore aux heures de récupération. Néanmoins, il est certain, aux termes de l'article L. 212-4-3 du Code du travail que la durée du travail est un élément contractuel par nature pour les salariés à temps partiel. En tout état de cause, les heures complémentaires susceptibles de leur être proposées, ne peuvent avoir pour effet de porter leur durée de travail au niveau de la durée légale ou conventionnelle. C'est clairement affirmer que le travail à temps partiel ne se confond pas avec le travail à temps complet. Ainsi, un salarié à temps partiel peut refuser de passer à temps complet, et inversement. En formalisant le contrat de travail à temps partiel, lequel ne saurait être reconnu en l'absence d'écrit, le législateur amène à considérer que la durée du travail est bien un élément contractuel par nature pour les salariés à temps plein.

En effet, si le salarié fi est pas embauché à temps partiel, c'est donc qu'il a conclu un contrat de travail sur la base de la durée légale de travail ou plus exactement sur la base de l'horaire collectif applicable dans l'entreprise. Si l'horaire collectif applique la durée conventionnelle, il est permis de penser que celle-ci pénètre également la sphère contractuelle indépendamment d'une volonté affirmée des parties. Ainsi, la mise en place d'un nouvel horaire ne saurait avoir pour effet de réduire la durée du travail sans l'accord du salarié. Plus encore, si une salariée a été embauchée pour 39 heures, peu importe qu'elle n'ait pas accompli effectivement cette durée chaque mois depuis son embauche. L'apposition de sa signature sur un relevé individuel d'horaires ou sur le bulletin de paye ne caractérise pas son acceptation d'une modification de son contrat.

Ainsi, les heures supplémentaires, en raison de leur caractère temporaire, ne touchent pas à la durée normale de travail. Elles ne remettent pas en cause le caractère de temps plein du contrat de travail. Il est de jurisprudence constante que le recours ou la suppression des heures supplémentaires relève du pouvoir de direction de l'employeur et que le salarié ne peut refuser de les exécuter ou se plaindre de leur suppression. Seule une convention de forfait peut conférer à un horaire déterminé supérieur à la durée légale ou à la durée conventionnelle, la qualification d'élément contractuel.

Les solutions concernant la mise au chômage partiel peuvent être appréciées pareillement. La modification de la durée du travail n'est que temporaire, puisque la mise au chômage partiel est une alternative à la rupture du contrat de travail. Il n'y a pas de modification du contrat pendant la période d'indemnisation prévue par l'article L. 351-25 du Code du travail. L'économie du contrat de travail n'est pas touchée car le contrat ne fait l'objet d'aucune novation.

A coté du volume de la prestation convenue, il existe des e1éments qualitatifs qui touchent à l'aménagement du temps de travail dans l'entreprise. Ainsi, si les horaires, généralement collectifs, sont indicatifs du volume de la prestation, ils établissent également une certaine répartition du temps de travail sur la journée, sur la semaine ou encore sur le mois. Ils ne font généralement pas l'objet d'une mention spécifique dans le contrat de travail, puisqu'ils s'adressent à la collectivité des salariés.

Il en est de même d'ailleurs du recours aux équipes de suppléance en l'absence d'accord collectif et après autorisation de l'inspecteur du travail (C. trav., art. R. 221-14), de la mise en place d'horaires individualisés après accord du comité d'entreprise, du travail par cycle pour les entreprises autorisées par décret (entreprises de surveillance, de gardiennage), du travail en continu. Ces "avantages" bénéficient à tous et relèvent de l'organisation collective de l'entreprise, aussi serait-on tenté de les exclure de la sphère contractuelle. Pourtant, le juge fait jouer la force obligatoire du contrat sans véritablement vérifier l'existence, dans le contrat de travail, d'une mention spécifique sur l'organisation du temps de travail du salarié. Dès lors, il est permis de se demander si certains éléments touchant à l'aménagement du temps de travail ne sont pas également des éléments contractuels qui pénétreraient la sphère contractuelle indépendamment d'une volonté affirmée des parties contractantes.

Hormis le cas des salariés à temps partiel, les auteurs s'accordent pour penser que le changement d'horaires relève normalement des conditions de travail. La simple répartition des heures n'est pas censée affecter le volume de la prestation et donc toucher à la durée du travail. Ainsi, un simple changement d'horaires au sein de la journée, ou encore au sein de la semaine ne modifie normalement pas le contrat de travail. Plus généralement, la Cour invite les juges du fond à rechercher si le changement d'horaires comporte ou non-modification du contrat de travail. C'est dire que le critère d'une atteinte au volume de la prestation n'est pas en soi suffisant pour justifier les décisions rendues. Certains auteurs ont pensé que la Cour réintroduisait le critère de l'ampleur de la modification, d'autres ont relevé le manque de lisibilité des décisions. En réalité, les décisions rendues se justifient par la conception objective du contrat de travail qui amène à en faire un contrat type.

L'étude de la jurisprudence établit qu'est introduit dans la sphère contractuelle tous les éléments d'aménagement du temps de travail qui, soit correspondent à une situation objective comme par exemple, travailler tous les jours ouvrables de la semaine, soit correspondent à la pratique de l'entreprise, comme un travail par cycle ou par roulement.

Ainsi, modifie le contrat de travail, l'employeur qui fait passer un salarié d'un horaire de jour à un horaire de nuit d'un horaire continu à un horaire discontinu. En l'espèce, le salarié qui travaillait habituellement de 4 h 30 à 11 h 30 avec une pause d'une demi-heure s'était vu ordonner de travailler en deux périodes distinctes de 4 h 30 à 8 h 30 d'une part, de 14 h 30 à 17 h d'autre part.

Ainsi, un employeur ne peut pas imposer à un salarié un aménagement du temps de travail qui n'est manifestement pas normale au regard du poste occupé, comme par exemple, imposer des permanences et des astreintes à une salariée qui ne les assumait pas jusqu'alors. A l'inverse, a été jugé qu'un cadre dirigeant ne peut pas refuser de travailler le vendredi après midi, alors même que son contrat mentionnait des horaires du lundi au vendredi midi, qu'il n'y a pas modification du contrat de travail à demander à une salariée de venir travailler pendant la pause de midi ou à venir travailler un samedi sur deux par roulement. Dans cette dernière espèce, la Cour souligne que le samedi est un jour ouvrable et que les parties auraient pu, par une clause contractuelle expresse, exclure le travail le samedi. Au regard de ces dernières espèces, il est manifeste que le salarié ne peut pas se plaindre de ce que l'employeur mette en oeuvre un changement qui correspond à une situation de travail objectivement normale. Il s'agit donc de l'exécution d'un contrat de travail type dont les mentions ne sont pas relevées par le juge.

Pour qu'il en aille différemment et que la normalité laisse la place à des situations spécifiques, il convient de vérifier que l'horaire collectif désigne une pratique originale de l'entreprise. Ainsi, le salarié, employé dans une station service ouverte 24 h sur 24 et dont le personnel travaille par roulement sans horaire fixe, ne peut se plaindre de passer d'un travail de nuit à un travail de jour. Modifie le contrat de travail l'employeur qui met en place de nouveaux horaires et supprime le cycle habituellement pratiqué dans l'entreprise. En l'espèce, l'employeur entendait simplement faire travailler ses salariés sur 5 jours alors qu'ils bénéficiaient d'un cycle de travail, une semaine de 3 jours et une semaine de 4 jours. Pareillement, modifie le contrat de travail, l'employeur qui revient à l'horaire antérieur pratiqué dans son entreprise et demande à ses salariés de travailler sur cinq jours au lieu de quatre. A partir du moment où le juge ne s'intéresse pas aux termes du contrat, ces dernières décisions établissent bien que l'horaire collectif a intégré la sphère contractuelle, et que l'employeur ne peut plus unilatéralement modifier le contrat de travail de chacun de ses salariés sans requérir leur accord.

En résumé, la sphère contractuelle est devenue exponentielle lorsqu'il s'agit d'apprécier les modalités d'aménagement du temps de travail. Il est permis de souligner que la distinction entre modification des éléments du contrat et changement des conditions de travail n'est pas très opérationnelle et qu'il convient simplement d'apprécier si l'employeur modifie l'économie du contrat ou procède à son exécution dans les limites de son pouvoir de direction. Le seul critère de distinction dont on soit sûr qu'il ait disparu, est celui de l'incidence du changement sur la vie du salarié. Le juge a clairement renoncé à une appréciation subjective de la modification.

Concernant l'aménagement du temps de travail, le contrat de travail accueille, indépendamment de la volonté exprimée des parties, d'une part, des éléments objectivement contractuels qui répondent à une situation de travail normale dans l'opinion commune et, d'autre part, des éléments qui traduisent une pratique collective de l'entreprise et qui établissent l'adhésion du salarié au statut collectif de l'entreprise. Cependant, la volonté des cocontractants peut encore s'exprimer pour individualiser la relation contractuelle. D'ailleurs, le juge invite souvent les parties à contractualiser des éléments.

B. Les éléments contractualisés par la volonté délibérée des parties

Face à ce contrat de travail type, les parties contractantes sont invitées à individualiser leur relation de travail soit, pour offrir au salarié la garantie que la norme commune ne lui sera pas applicable, soit pour permettre à l'employeur de conserver la liberté de modifier le contrat en fonction des besoins de l'entreprise. Un auteur parle même de " stratégie de contractualisation ". Parfois, encore, certains éléments sont introduits dans le contrat sans qu'il soit certain que la volonté des parties ait été de les contractualiser. Nombreux auteurs commencent à penser qu'il existe dans le contrat de travail des éléments qui relèvent de l'information.

Normalement le principe de la liberté contractuelle devrait autoriser les parties à insérer toutes sortes de clauses dès lors qu'elles ne sont pas contraires à l'ordre public. En réalité, la Cour de cassation opère des distinctions.

D'une part, elle tend à paralyser les clauses qui permettent à l'employeur de s'arroger un pouvoir discrétionnaire et qui se révèlent purement potestatives au sens de l'article 1174 du Code civil. Ainsi, un employeur ne pouvait se réserver la possibilité d'étendre la portée d'une clause de non-concurrence, ne peut désormais insérer une clause de variation des bases de la rémunération contractuelle (voir sur ce point la chronique de P.-H. Antonmattei dans le présent numéro ). Il est intéressant de noter que la clause annulée portait sur la partie variable de la rémunération, ne modifiait pas l'économie du contrat et répondait à l'intérêt de l'entreprise en réservant cette faculté d'adaptation à l'évolution du marché et des produits de la marque. En l'espèce, les paramètres d'adaptation étaient beaucoup trop imprécis pour ôter à la décision unilatérale de l'employeur, son caractère discrétionnaire. A priori, une clause contractuelle pourrait être valable si elle permet à l'employeur de faire varier une partie du salaire à partir d'éléments objectifs, tels le chiffre d'affaires ou un pourcentage des ventes.

Cette incursion dans le domaine de la rémunération contractuelle a pour objet de montrer que le problème est similaire en matière de durée du travail. Dès lors que l'employeur s'arroge le droit, par l'insertion d'une clause, de modifier le volume de la prestation, il encourt la censure de la Cour de cassation. Ainsi, a été jugée inopérante la clause permettant de transformer avant une certaine date un travail à temps complet en un travail à temps partiel. Cette jurisprudence ne signifie pas pourtant que r employeur ne puisse plus insérer de clause de variabilité d'horaires dès lors qu'il n'entend pas modifier le volume de la prestation. En effet, un raisonnement par analogie peut être conduit à partir du travail à temps partiel.

Avant que la loi du 19 janvier 2000 ne contractualise les clauses de variation d'horaires (C. trav., art. L. 212-4-3), la jurisprudence encadrait, mais ne condamnait pas ces clauses. Pour être valable, la clause devait préciser l'ampleur de la variation et énoncer les cas dans lesquels cette modification pouvait intervenir.

Désormais, le nouvel article L. 212-4-3 du Code du travail entérine cette jurisprudence et dispose que le contrat " définit en outre les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition (de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois) peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ". Un délai de prévenance de 7 jours doit être respecté. L'objet de cette disposition est, certes d'informer le salarié, mais également de permettre à l'employeur d'organiser, dans l'intérêt de l'entreprise, une nouvelle répartition du temps de travail.

A défaut d'une telle mention dans le contrat de travail à temps partiel, l'alinéa 5 précise, bien inutilement, que le refus ne saurait constituer une faute ou un motif de licenciement. En réalité, comme pour le travailleur à temps plein, le contrat de travail se trouve modifié dans la mesure où nous avons pu constater que les éléments tournant à r aménagement du temps de travail pénètrent la sphère contractuelle indépendamment d'une volonté exprimée. Dès lors, il est permis de penser que ce que la loi autorise pour le contrat de travail à temps partiel, la liberté contractuelle devrait pouvoir le formuler dans un contrat à temps plein.

Même la condamnation sur le fondement de l'article 1134 alinéa 2 du Code civil de " la clause, par laquelle l'employeur se réserve le droit de modifier, en tout ou partie, le contrat de travail ", ne nous paraît pas suffisante pour déclarer nulles toutes les clauses de variation d'horaires.

En effet, dans cette dernière espèce, l'employeur entendait faire échec à la clause contractuelle fixant les modalités de calcul des commissions en se réservant le droit de modifier à sa guise la partie variable du salaire ; l'accord du salarié sur le mode de rémunération résultait de la lettre du contrat. Lorsqu'il s'agit de l'aménagement du temps de travail, les parties contractantes n'insèrent généralement aucune clause particulière. Dès lors, il paraît difficile de condamner la clause de variation d'horaires qui a aussi pour objet d'individualiser la relation contractuelle. La clause de mobilité demeure licite si l'employeur n'en fait pas un usage abusif. Pareillement, l'employeur devrait pouvoir se réserver le droit de modifier l'aménagement du temps de travail de ses salariés en fonction des besoins, préalablement définis, de son entreprise. Pour être valable, il suffirait que la clause soit indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. L'article L. 120-2 du Code du travail devrait se révéler suffisant pour que les clauses de variation d'horaires ne deviennent pas des clauses de style. Les horaires de travail ne sont-ils pas l'expression d'une liberté individuelle ? A l'inverse, même si cela est plus théorique, le salarié peut demander la contractualisation d'un élément pour des raisons tenant à sa vie personnelle, comme par exemple ne pas travailler le vendredi après-midi, le samedi ou encore pendant les pauses du déjeuner.

D'autre part, la Cour de cassation autorise les clauses qui répondent à l'intérêt des deux parties comme la clause de forfait des heures supplémentaires. Il s'agit d'un mode de rémunération des heures supplémentaires qui offre au salarié la garantie de leur volume et le maintien des majorations .

Cette possibilité est ouverte par l'article 2 de l'accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977. Il est de jurisprudence constante que la convention de forfait ne se présume pas et qu'il appartient à celui qui s'en prévaut d'en rapporter la preuve. Cette preuve ne résulte pas nécessairement d'une mention dans le contrat de travail, même si ce sera le plus souvent le cas en pratique car il y va de l'intérêt de l'employeur. L'accord des parties doit être clairement établi car un usage d'entreprise ne peut l'imposer au salarié et la seule production des bulletins de paye n'y suffit pas. Pour les cadres, le nouvel article L. 212-15-3 exige une convention individuelle lorsqu'il s'agit de comptabiliser leur durée du travail.

Quoi qu'il en soit, le caractère contractuel de la convention de forfait autorise le salarié à refuser sa modification, ce qui va nécessairement devenir problématique pour les entreprises qui passent aux 35 heures hebdomadaires sachant que seul le contingent légal d'heures supplémentaires peut être contractualisé.

L'individualisation de la relation de travail reste donc possible même si le juge conserve une attitude de méfiance à l'égard de clauses qui ne sont pas directement favorables au salarié et qui ne s'inscrivent pas dans une situation de travail objectivée. Cette incursion dans la sphère contractuelle devrait alors le conduire à une lecture nouvelle des clauses qui n'établissent pas clairement l'intention des parties de contractualiser un élément. Puisque le juge contractualise certains éléments qui ne font pas l'objet d'une mention expresse, il devrait pareillement admettre que l'écrit n'entraîne pas automatiquement le contractuel ; que certaines clauses n'ont qu'une valeur informative. A cet égard, la directive n° 91-533 du 14 octobre 1991, en imposant une information écrite du salarié sur les éléments essentiels du contrat de travail ou de la relation de travail, incite à la contractualisation d'éléments qui fixent uniquement les conditions applicables au contrat. Pour certains auteurs, ces éléments introduits dans le contrat relèvent plus de l'information que de la contractualisation. Ainsi, critiquent-ils la contractualisation de la convention collective simplement désignée dans le contrat de travail.

Désormais, la CJCE, dans un arrêt en date du 8 février 2001, admet que la liste des éléments mentionnés dans l'article 2, § 2 de l'accord du 10 novembre 1977 n'est pas limitative et qu'il appartient à l'employeur de porter à la connaissance du travailleur une stipulation en vertu de laquelle le salarié est obligé d'effectuer des heures supplémentaires sur la simple demande de l'employeur. La transposition minimale de la directive s'est faite par le biais du bulletin de paye (C. trav., art. R. 143-2).

Ce document ne paraît guère approprié à l'insertion de mentions introduisant des obligations à la marge du salarié. Un document annexé au contrat de travail évite très certainement la voie de la contractualisation. Il a été jugé que l'indication dans le contrat de travail, qu'un livret d'accueil a été remis au salarié, ne contractualise pas les informations qui y sont contenues. La mention dans le contrat de travail d'une obligation d'exécuter des heures supplémentaires ne devrait pas les contractualiser et cela même, si ces heures sont déterminées dans leur nombre, l'employeur conservant la liberté de ne pas en demander l'exécution. Plus généralement, il est permis de penser que les clauses qui fixent une organisation normale de travail devraient pouvoir être modifiées sans l'accord du salarié sous réserve que l'employeur n'ait pour exigence que l'exécution d'une situation de travail objectivement normale. En conséquence, lorsque le contrat de travail détermine une répartition classique des horaires au sein de la journée ou au sein de la semaine, il est possible de penser que dans l'intention des parties, ces horaires ne sont pas garantis. C'est cette solution que la Cour de cassation a retenue dans l'arrêt du 16 mai 2000 en écartant la clause contractuelle claire et précise qui répartissait les horaires d'un cadre dirigeant du lundi au vendredi midi. Objectivement, la qualité de cadre empêchait ce salarié de se plaindre d'une modification d'horaires consistant à le faire travailler le vendredi après-midi.

En conclusion, lorsque le juge apprécie l'incidence d'une modification de la durée ou de l'aménagement du temps de travail sur le contrat de travail, il ne fonde pas sa solution seulement sur le libellé du contrat. Il est vrai que l'écrit n'est pas exigé lorsque le contrat est à durée indéterminée à temps complet. En conséquence, la commune intention des parties va désormais se révéler le plus souvent au travers d'un contrat type, virtuellement dégagé par le juge. Si la nature contractuelle ou non de l'élément modifié est bien le critère de distinction entre modification du contrat et d1angement des conditions de travail, force est de constater qu'en matière d'aménagement du temps de travail, les conditions de travail pénètrent la sphère contractuelle, tantôt pour se contractualiser, tantôt pour assurer l'information du salarié. Parfois même, leur contractualisation expresse est écartée si elle ne répond pas à un intérêt légitime. C'est dire que le critère de la nature de l'élément modifié n'est pas très opérant pour offrir une stabilité juridique satisfaisante. Est également porteuse d'incertitudes l'appréciation de l'incidence d'une modification de la durée ou de l'aménagement du travail lorsqu'elle est appréciée au regard de l'origine de la modification.

2. La distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail dépend-elle de l'origine de la modification ?

La question est de savoir si la loi, la convention collective ou encore l'engagement unilatéral sont susceptibles de modifier le contrat de travail. Normalement le principe de l'autonomie du statut collectif et du contrat de travail devrait écarter cette interrogation ; le mécanisme de modification du contrat ne devrait être qu'un processus propre à la relation individuelle. Néanmoins, l'espace juridique désormais alloué à la force obligatoire du contrat oblige à penser que n'importe quel fait générateur est susceptible de modifier des éléments du contrat. Ainsi, la distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail ne semble pas dépendre de l'origine de la modification [A]. Plus encore, puisque seuls les éléments contractuels sont susceptibles de faire l'objet d'une modification, il convient de se demander si la norme collective ne se contractualise pas lorsqu'elle opère modification du contrat de travail. En d'autres termes, l'origine de la modification a-t-elle une incidence sur la nature de l'élément modifié [B] ?

A. La distinction ne semble pas dépendre de l'origine de la modification

En énonçant qu'un accord collectif ne peut modifier les droits issus du contrat de travail, la Cour de cassation tend à écarter la règle de faveur posée par l'article L. 135-2 du Code du travail qui oblige à comparer des normes précises au profit de l'application de l'article 1134 du Code civil.

Dès lors, pour apprécier la capacité de résistance du contrat de travail, les auteurs se sont surtout attachés à préciser quels étaient les éléments contractuels par nature, susceptibles de résister à l'application de la norme collective. En matière de durée et d'aménagement du temps de travail, nous avons pu constater que la force obligatoire du contrat joue alors même que les parties fi ont pas exprimé une volonté expresse de contractualisation.

Est-ce à dire que la capacité de résistance du contrat est la même quel que soit le fait générateur de la modification ?

Nous ne le pensons pas, aussi convient-il de distinguer selon que l'élément modifié fait ou non l'objet d'une clause contractuelle expresse.

En présence d'une clause contractuelle expresse garantissant une durée précise de travail ou une organisation spécifique du travail, il paraît logique de penser que la force obligatoire du contrat va jouer et le salarié va pouvoir s'opposer à l'application d'une clause conventionnelle ou à une disposition légale qui entre en contradiction avec les termes de son contrat de travail. Seul l'article L. 212-3 du Code du travail fait exception à ce principe en énonçant que " la seule diminution du nombre d'heures stipulées au contrat de travail, en application d'un accord de réduction du temps de travail, ne constitue pas une modification du contrat de travail ".

Par sa généralité, ce texte devrait d'ailleurs s'appliquer au travailleur à temps partiel. A priori, ce texte ne vise que le volume de la prestation et non pas le rythme de travail. Dès lors, il est possible de penser qu'un salarié va pouvoir refuser, par exemple, une modulation du temps de travail intégrant de grandes amplitudes si son contrat établit une répartition précise des horaires (sauf à admettre que la clause contractuelle n'a qu'une valeur informative).

Plus généralement, le salarié peut s'opposer à l'application de la norme conventionnelle sans qu'il soit besoin de vérifier quelle est la clause la plus favorable. Le changement de fondement juridique a pour effet de transférer au salarié l'appréciation de la situation de faveur. L'individuel et le subjectif prennent le pas sur le collectif.

Pareillement, si le salarié bénéficie d'une clause contractuelle garantissant une durée de travail de 39 heures et qui ne soit pas une clause de style, il devrait pouvoir, indépendamment de toute diminution de rémunération, pouvoir s'opposer à un passage à 35 heures. Une lecture a contrario de l'article L. 212-3 autorise cette affirmation. Cette situation fort théorique ne devrait pas créer de contentieux.

En revanche, si l'élément modifié ne fait l'objet d'aucune clause contractuelle expresse, la capacité de résistance du contrat devient particulièrement incertaine en matière de durée du travail. Les auteurs s'accordent à penser que la force obligatoire du contrat ne peut jouer que pour les éléments contractuels par nature et ceux-ci supposent d'être parfaitement Circonscrits. Ainsi, à propos de la rémunération, la Chambre sociale juge que l'entrée en vigueur d'une nouvelle convention collective ne peut modifier le salaire contractuel du salarié mais que si le montant annuel demeure inchangé, la structure de la rémunération peut être modifiée. Dans cet esprit, la réduction du temps de travail, par application de la loi ou même par accord collectif, ne modifie pas le contrat de travail dans la mesure où le salarié demeure à temps plein. Plus encore, la décision patronale d'appliquer la loi ne modifie pas le contrat de travail.

Pour les éléments d'aménagement du temps du travail, dont il est difficile de prétendre qu'ils sont des éléments contractuels par nature, même si nous avons pu constater leur contractualisation, il a été jugé que la mise en place d'un régime d'astreinte, par accord collectif, ne modifie pas le contrat de travail. Dans cette espèce, le salarié ne pouvait se prévaloir d'une clause contractuelle particulière. Cette jurisprudence permet de penser que le principe de la force obligatoire du contrat trouve ses limites d'application en l'absence de clause contractuelle expresse. il jouerait comme la règle de faveur qui suppose une comparaison de normes. Pourtant, un arrêt en date du 17 octobre 2000 vient contredire cette analyse en ce qu'il retient qu'un contrat de travail, dépourvu de clause de non-concurrence, ne peut être modifié par un accord d'établissement instituant une telle interdiction. La Cour de cassation permet donc au salarié de s'opposer à la norme négociée dès lors que celle-ci est créatrice d'obligations. En l'espèce, la convention collective portait atteinte à une liberté fondamentale. Faut-il alors penser que l'arrêt du 16 décembre 1998 sur les astreintes n'est plus d'actualité et que le salarié pourrait désormais invoquer la force obligatoire du contrat alors même que l'élément modifié n'est pas un elément contractuel par nature ou n' est pas contractualisé par une clause expresse ? Telle semble être la nouvelle orientation jurisprudentielle. N'est-il pas vrai qu'un régime d'astreintes ou qu'un accord de modulation peuvent pareillement porter atteintes aux libertés individuelles des salariés ?

Néanmoins, lorsqu'il s'agit des accords de réduction de la durée du travail, nous pensons que leur subordination à la loi du 19 janvier 2(XX) devrait être en soi suffisante. Dès lors qu'ils n'encourent pas la censure judiciaire sur le fondement de l'article 28-{(72) ils devraient s'imposer au salarié.

Dans ces espèces, il s'agissait justement d'apprécier la conformité à l'article L. 212-9, de clauses restreignant la liberté dont dispose le salarié pour prendre ses jours de réduction du temps de travail. La subordination à la loi de l'accord collectif de réduction du temps de travail ne devrait pas se doubler d'une subordination au contrat de travail.

Par le jeu de la force obligatoire du contrat, peut-on permettre aux salariés de s'opposer aux obligations issues de la norme négociée et profiter de ses avantages alors que la négociation avait justement pour objet d'équilibrer l'ensemble du texte conventionnel ? Le caractère impératif de l'accord collectif s'en trouve incontestablement ébranlé.

La question de la subordination au contrat des normes atypiques ou encore des engagements unilatéraux est tout aussi délicate à traiter. La règle de faveur de l'article L. 135-2 du Code du travail n'a jamais eu vocation à jouer.

En outre, l'engagement unilatéral ne peut être que créateur de droits au profit du salarié. Il est supposé se distinguer de la décision unilatérale modificatrice du contrat individuel par son caractère de généralité et de permanence. Pourtant, en matière d'horaires de travail et plus généralement, d'aménagement du temps de travail, le juge ne les distingue pas et se contente de faire jouer la force obligatoire du contrat.

Est-ce à dire que l'engagement unilatéral qui fait peser sur les salariés des charges ou des contraintes nouvelles modifie le contrat de travail ? La réponse devrait être positive. Plus encore, l'existence ou non d'une clause contractuelle ne devrait pas influer sur la capacité de résistance du contrat de travail à l'engagement unilatéral. Ces réponses s'imposent au regard de la jurisprudence relative aux horaires de travail.

Ainsi, se font jour deux catégories d'engagements unilatéraux : ceux qui procurent des avantages et ceux qui introduisent des charges nouvelles. Leur régime juridique devrait être différent. Le Professeur Borenfreund souligne que la Cour de cassation s'est parfois prononcée pour l'inopposabilité de ces normes informelles porteuses d'obligations. Désormais, il est possible de penser que la décision unilatérale à finalité collective, expression du pouvoir de direction, se confond avec l'engagement unilatéral créateur d'obligations.

En conclusion, malgré un a priori en sens contraire, il a été permis de vérifier que la distinction entre modification du contrat et changement des conditions du travail ne dépend pas de l'origine de la modification. N'importe quelle norme collective créatrice d'obligations est susceptible d'opérer modification du contrat de travail.

Reste alors à se demander si cette modification du contrat emporte corrélativement contractualisation des éléments. L'origine de la modification a-t-elle une incidence sur la nature de l'élément modifié ?

B. L'origine de la modification a-t-elle une incidence sur la nature de l'élément modifié ?

La question est de savoir si tous les avantages, bien que de sources différentes, se contractualisent pour permettre au salarié de réclamer leur maintien. Puisque n'importe quelle source est susceptible de modifier le contrat de travail et que seuls les éléments intégrés dans le champ contractuel sont susceptibles de faire l'objet d'une modification, logiquement les éléments modifiés devraient se contractualiser. En réalité, plus que la nature de l'avantage, c'est sa source qui conditionne son régime juridique.

Il est de jurisprudence constante que les conventions et accords collectifs ne s'incorporent pas au contrat de travail des bénéficiaires. Ainsi, a-t-il été jugé que si la classification professionnelle ne résulte pas d'une clause contractuelle, la modification de l'accord collectif par un avenant régulièrement conclu s'impose au salarié. Pareillement, la structure de la rémunération modifiée par un accord de substitution s'impose aux salariés en l'absence de clause contractuelle déterminant cette structure.

Néanmoins, il est permis de se demander si cette jurisprudence s'applique à l'aménagement du temps de travail. Lorsque la durée du travail est fixée à 37 ou 38 heures hebdomadaires, un salarié peut-il prétendre, dans l'attente d'un passage aux 35 heures, au maintien de cette durée lorsque la convention collective cesse de s'appliquer ?

A priori, l'autonomie du statut collectif commande de n'apporter aucune exception à la règle de non-incorporation. Ainsi, les salariés EDF-GDF ne peuvent se plaindre qu'un système d'astreinte vienne se substituer à un régime de garde assorti de primes. La modification du statut collectif est opposable aux salariés et ne constitue pas une modification du contrat de travail. La durée conventionnelle ou encore les aménagements du temps de travail ne peuvent se contractualiser que par le biais d'une décision patronale établissant des horaires collectifs. La contractualisation des avantages issus de la convention collective ne peut résulter que d'une volonté claire et non équivoque des parties contractantes.

La flexibilité du statut collectif ne cède le pas que dans les cas de dénonciation ou de mise en cause de la convention ou accord collectif de travail régis par l'article L. 132-8 du Code du travail. Aux termes de ce texte, à défaut de nouvelle convention ou d'accord de substitution, les salariés conservent le bénéfice de leurs avantages individuels acquis. Ceux-ci s'incorporent alors au contrat de travail dont ils deviennent un élément. Indépendamment du point de savoir si cette incorporation n'est que temporaire et n'opérerait pas une véritable contractualisation, les éléments tournant à l'aménagement du temps de travail ne sont pas strictement " des avantages " et sont le plus souvent collectifs par leur objet. Pour qu'il en aille différemment, l'avantage doit procurer une rémunération ou un droit dont le salarié bénéficie à titre personnel.

En conséquence, les éléments d'aménagement du temps de travail ne sont généralement pas susceptibles d'intégrer la sphère contractuelle. Seule une clause conventionnelle de maintien des avantages, insérée dans la convention nouvellement négociée, serait susceptible de favoriser le maintien d'avantages collectifs. Leur incorporation au contrat de travail n'a pas lieu d'être dans la mesure où la nouvelle convention sert de support à ces avantages.

Tout aussi intéressante est la question de savoir si les avantages issus d'un engagement unilatéral ou d'un usage intègrent la sphère contractuelle. Depuis l'arrêt Deschamp, la Chambre sociale juge que l'usage ne s'incorpore pas au contrat de travail. Ainsi, lorsqu'une prime est due en vertu d'un usage ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, elle n'est pas incorporée aux contrats de travail et la dénonciation régulière de l'usage ou de l'engagement unilatéral n'emporte aucune modification de ces contrats. Il appartient aux juges de rechercher le caractère contractuel ou statutaire de l'avantage salarial.

En matière de durée du travail, il nous a été permis de constater que les normes informelles sont plutôt créatrices d'obligations. Aussi, au-delà de la capacité de résistance du contrat de travail, il convient de se demander si ces obligations ne se sont pas contractualisées du fait d'un accord implicite du salarié. En matière de prévoyance d'entreprise, l'article 11 de la loi Evin dispose qu'aucun salarié, employé dans une entreprise avant la mise en place, à la suite d'une décision unilatérale de l'employeur, d'un régime de prévoyance, ne peut être contraint à cotiser contre son gré à ce système. Autrement dit, les salariés présents dans l'entreprise sont invités à donner leur accord au précompte d'une cotisation salariale de prévoyance. Cet accord salarial ne contractualise-t -il pas cette obligation de financer le régime ? Il est permis de le penser après l'arrêt du 5 octobre 1999 dans lequel la chambre sociale juge qu'un employeur qui sollicite l'accord des salariés à la remise en cause d'un usage, contractualise ce dernier. Pour les commentateurs de cette décision, la solution se justifie surtout par le caractère salarial de la prime de suppléance qui a nécessairement une nature contractuelle. La durée du travail et spécialement, les règles d'aménagement du temps de travail n'ont certes pas cette nature contractuelle par nature.

Néanmoins, le juge requiert bien souvent l'accord des deux parties lorsque l'employeur modifie les contraintes d'aménagement du temps de travail, fixées par les horaires collectifs. En ne se plaçant pas sur le terrain des rapports entre le contrat de travail et le statut collectif applicable au salarié, il opère de fait une confusion entre décision unilatérale de gestion et norme collective créatrice d'obligations. Ne faut-il pas alors en déduire que le salarié en concluant son contrat de travail adhère, mais également donne implicitement son accord aux obligations issues du statut collectif ?

Dès lors, la modification de ces contraintes, quelle qu'en soit alors l'origine, opère modification du contrat de travail. Telle semble être l'évolution de la jurisprudence. La cohérence de l'édifice jurisprudentiel est au prix d'une contractualisation des obligations issues du statut collectif puisque elles seules opèrent modification du contrat de travail.

Au regard de cette étude, il apparaît que la frontière entre le contrat de travail et le statut collectif devient perméable. La norme collective créatrice d'obligations tend à opérer modification du contrat de travail que ce dernier contienne ou non une clause contractuelle expresse. En effet, le salarié acquiert le droit de s'opposer aux normes qui sont créatrices d'obligations. En revanche, il ne peut revendiquer le maintien d'avantages issus de ce même statut collectif; ces avantages ne se contractualisent pas.

Paradoxalement, si la norme collective peut être un fait générateur de modification du contrat de travail, elle n'est pas systématiquement un fait générateur de contractualisation. Tout au plus, peut-on penser que les obligations issues de ce statut collectif se contractualisent par accord implicite du salarié.

Il est vrai également que la contractualisation des éléments échappe bien souvent à la volonté des parties pour que se fasse jour un contrat de travail type et objectivé.

Puisque l'approche subjective de la modification a définitivement disparue, la Cour de cassation devrait à l'avenir renoncer à distinguer entre modification des éléments du contrat de travail et changement des conditions du travail. La recherche du contenu du contrat a perdu son sens.

Il conviendrait de lui préférer une appréciation fondée sur l'atteinte objective à l'économie du contrat puisque c'est la seule fonctionnelle en matière d'aménagement du temps de travail.

Dominique Asquinazi-Bailleux
Maître de conférences à la Faculté de droit de Toulon,
Institut de droit social.

 

Sptembre 2001

L'irrésistible ascension de la convention européenne des Droits de l'Homme dans le procès prud'homal : prud'homme et défenseur, un cumul impossible.


Nul ne peut être juge et partie sauf en matière prud'homale ?

L'axiome populaire est suffisamment bien ancré dans les esprits pour ne pas encourir la moindre contestation. A des rôles distincts de demandeur et de défendeur d'une part, de juge d'autre part, correspondent des acteurs distincts même si le costume présente des similitudes (voir sur le rituel judiciaire A. Garapon, Bien juger, O. Jacob 1997). Cette différenciation s'étend logiquement à la représentation. Avocat ou juge, il te faut choisir ta voie dira-t-on à l'étudiant en droit.

Un changement d'aiguillage se conçoit ultérieurement peut-être, mais une seule voie sera empruntée à la fois. Sauf en matière prud'homale ? Ce territoire résisterait-il à la norme commune ? Composition paritaire, procédure particulière, tout milite en faveur de la simplicité... donc de la singularité. (1 'expression " conseiller prud'homme " même enracinée dans l'histoire étonnera le profane qui s'attendrait à trouver " juge du travail " ). Est-ce à dire que, pour autant, aux prud'hommes, tout deviendrait possible ? Assurément non, mais la transgression de l'adage cité liminairement a été même entérinée par le législateur (voir Traité de la juridiction prud'homale, 1998, p. 371, nos 675 et suivants). L'article L. 516-4 du Code du travail issu de la loi du 6 mai 1982 reconnaît le don d'ubiquité prud'homale, à savoir celui de défendre un jour et de siéger le lendemain, tant que cela ne se passe pas dans la section d'appartenance. Cela n'a pas toujours été le cas, puisqu'avant la réforme de la procédure civile, un article 86 interdisait formellement aux parties de charger de leur défense un juge en activité. Du reste, en raison de cet article, l'assistance par un conseiller prud'homme avait été vitupérée (TI Briançon, 22 janv.1963, Cah. prud'h.1964, p. 63, n°4).

Souplesse légitime, même si elle n'est pas toujours bien acceptée, l'article R 516-5 du Code du travail ne cantonne pas la faculté de défense aux seuls avocats, pour r ouvrir aux délégués des syndicats, au conjoint, aux collègues de la branche, aux membres des entreprises mais pas (encore) au concubin. Et de fait, au fil des scrutins, (plus) nombreux sont effectivement les conseillers qui conjuguent r exercice de leur mandat électif avec l'accomplissement de mandats de représentation ou d'assistance, le plus souvent au titre d'une habilitation syndicale. Une pratique qui s'est sans doute répandue en raison du tarissement des vocations appelant les militants " au four et au moulin ", mais qui " suscite un profond malaise " (voir M. Pierchon et A. Dorant, Le conseil de prud'hommes en pratique, Semaine sociale Lamy, suppl. au n° 1034, p. 9).

L'irrésistible ascension des exigences d'indépendance et d'impartialité issues de la Convention européenne des droits de l'homme

Dans le même temps, nous avons assisté à l'émergence lente mais continue des principes dérivés de la Convention européenne des droits de l'homme, spécialement ceux d'indépendance et d'impartialité.

Les juges français n'hésitent plus à faire produire à la CEDH d'application directe son plein effet, ce qui emporte Y éviction de la règle de droit interne incompatible (voir S. Guinchard, Gaz. Pal. 1999, doct., 1247).

  • Des effets audacieux en droit social

L'arrêt Spillers du 12 janvier 1999 (D. 1999, p. 645, note J.-P. Mourguenaud et J. Mouly) en constitue une parfaite illustration où la chambre sociale en vient à mesurer la validité d'une clause du contrat de travail imposant une obligation de résidence à la lumière du droit au respect du domicile inscrit dans l'article 8.

Mais c'est surtout l'article 6-1 qui se trouve en pleine lumière, garantissant le droit à un procès équitable, conduit dans un délai raisonnable devant un tribunal indépendant et impartial (voir L'impartialité du juge du travail, Jurisprudence sociale Lamy, 18 mai 1999, n° 36-1).

L'exigence d'un procès équitable implique le respect de Y égalité des armes, elle répugne en conséquence aux lois de validation. L'article 29 de la loi Aubry du 19 janvier 2000 (M. Pierchon et G.-P. Quetant, Durée du travail et Contrat de travail, Cedat 2000, p. 37) en a fait récemment les frais (voir Cass. soc., 24 avr. 2001, n° 00-44.148, Dr. soc. 2001, n° 6, concl. S. Kehrig, p. 583) dans le sillage de l'arrêt CEDH Zielinsky du 28 octobre 1999 (A. Dorant, Semaine sociale Lamy, n° 981)

Depuis longtemps affirmé par la Cour de Strasbourg, le droit à un tribunal indépendant et impartial proclamé par l'article 6-1 " garantie substantielle " (arrêt CEDH Piersack, 1er oct. 1982, n° 53) fraye son chemin dans les moeurs en venant en renfort des dispositions nationales.

L'indépendance prohibe le mandat impératif du conseiller prud'homme et par ricochet la pratique de lettre de démission en blanc (Rép. min., JO AN Q. 27 sept. 1999, p. 5635).

L'impartialité est tant objective que subjective : " L'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime " (CEDH, 26 févr. 1992, arrêt n° 255).

A la différence des juridictions du contentieux technique de la Sécurité sociale TCI (Cass. soc., 17 déc. 1998, n° 97-15.389, Bull. civ. V, n° 578, Jurisprudence sociale Lamy, n° 59-1) et CNIT (Cass. ass. plén., 22 déc. 2000, n° 99-11.615, Semaine sociale Lamy, n° 1016, M. Pierchon) qui se sont trouvés tour à tour sur la sellette, la composition " laïque " de la juridiction prud'homale ne heurte pas en soi les prescriptions de la CEDH ; elle n'encourt pas le reproche de dépendance.

Le paritarisme concourt à son respect sans offrir pour autant une garantie absolue. Le conseiller prud'homme individuellement n'échappe pas à ce devoir même si " l'impartialité personnelle d'un magistrat se présume jusqu'à la preuve du contraire (CEDH, 24 mai 1989, arrêt n° 154), y compris en bureau de conciliation ". Le principe d'impartialité s'impose néanmoins aux magistrats conciliateurs même s'il est difficile à mettre en œuvre. L' exigence d'impartialité édictée par l'article 6-1 de la CEDH, souligne-t-elle, doit s'apprécier en fonction non pas nécessairement de l'attitude effective de la personne en cause, mais de la perception que le justiciable peut légitimement avoir d'un risque de partialité " (CA Poitiers, ch. soc., 5 sept. 2000, Bull. inf. cass. n° 340, p. 51).

A l'évidence, cette jurisprudence traduit la prise en compte de " la sensibilité accrue du public aux garanties d'une bonne justice ".

Au fil de ces dernières années, la Cour de cassation s'est ingéniée à tracer la ligne du permis et du défendu :

- Tu ne connaîtras pas d'une même affaire deux fois ;

- Tu ne jugeras pas non plus après avoir conseillé.

Et aujourd'hui, la Cour de cassation adresse à travers l'arrêt du 3 juillet 2001 (Cass. soc., 3 juill. 2001, n° 99-42.735) un " ordre " supplémentaire plus radical encore " Tu ne défendras pas devant ton propre conseil ".

Reprenons ces préceptes sous la forme détaillée de dix commandements à l'usage du conseiller prud'homme

  • Tu ne jugeras pas l'affaire deux fois

Selon l'assemblée plénière de la Cour de cassation manifestant une hardiesse remarquée, un même juge d'une manière générale ne peut pas siéger dans une seconde affaire intéressant les mêmes parties. Par exemple, celui qui aurait alloué des provisions en référé perdrait son impartialité à siéger ensuite lorsque le bureau de jugement connaît l'affaire au fond (Cass. ass. plén., 6 nov. 1998, n° 95-11.006, Bull. inf. cass, 1 er févr. 1999, note Mme Tatu, conseiller rapporteur).

La Chambre sociale fi est pas allée aussi loin en contentieux de la Sécurité sociale où il s'agissait, il est vrai de procès distincts (Cass. soc., 15 juin 1999, na 93-43.309, Cah. prud'h. 2000, p. 81, na 6).

Toujours est-il que brandissant l'arme de la récusation, l'un des plaideurs peut mettre en doute l'objectivité de l'un de ses juges et demander en conséquence qu'il soit écarté (voir Traité de la juridiction prud'homale, n° 581), quand le magistrat est déjà intervenu en délivrant son opinion.

Le comportement du juge conciliateur comme celui du conseiller rapporteur prêtent parfois le flanc à la critique :

- " Lorsque dans la forme l'intervention d'un conseiller était de nature à faire douter la société employeur de son impartialité dès lors qu'elle a consisté à préconiser une mesure qui présupposait la nullité des licenciements prononcés, il y a lieu de faire droit à la demande de récusation du conseiller prud'homme " (CA Poitiers, ch. soc., 5 sept. 2000, Bull inf. cass. 2000, p. 51, n° 340) ;

- " Le renvoi pour une cause de récusation de deux conseillers rapporteurs est valable si ces derniers ont formulé un avis quant au fond du litige avant qu'ils aient pu entendre les plaidoiries respectives des parties justifiant que l'affaire soit distribuée à une autre formation de la section " a jugé le président du Conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges (Cons. prud'h. Villeneuve-Saint-Georges, 14 sept. 2000, Cah. prud'h. 2000, p. 133, n° 9).

Encore faut-il identifier les personnes par avance afin de soulever en pleine connaissance de cause et de temps l'incident. Non seulement les cas de récusation sont limitativement énumérés, mais la procédure est lourde à souhait. Rien d'irrémédiable cependant car, d'une part, les causes légales de récusation de l'article L. 518-1 du Code du travail, fi épuisent pas l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction (Cass. soc., 18 nov. 1998, n° 9643.840, Bull. civ. V, n° 506, Jurisprudence sociale Lamy, 2 mars 1999, n° 31-27). Au-delà, l'invocation de l'article 6-1 reste possible.

Quand la composition du tribunal reste inconnue des parties, elle entraîne alors l'annulation de la sentence infectée (voir J. Normand, RTD civ. 2001, p. 193).

La référence à l'article 6-1 présente un caractère subsidiaire (voir R. Perrot, RTD civ. 2001, p. 204) toutes les fois où les instruments nationaux sont impuissants à offrir les mêmes garanties.

  • Tu ne jugeras pas si tu as un lien d'intérêt avec une partie

Ce comportement expose à une demande de récusation liée à l'article L. 518-1 du Code du travail. Plus largement, viole son devoir d'impartialité et donc doit s'abstenir de siéger le juge en lien étroit avec une partie :

- pour avoir établi à son intention une attestation (CA Nancy, ch. soc., 21 févr. 1995, RJS 11/95, n° 1218) ;

- en tant que propriétaire du fonds de commerce (CA Rouen, 29 oct. 1992, Cah. prud'h. 1995, p. 148) ;

- ou celui dont la nièce vit avec le demandeur (Cass. soc., 18 nov. 1998, n° 96-43.840, Bull. civ. V, n° 506, Jurisprudence sociale Lamy, 2 mars 1999, n° 31-27, précité).

  • Tu ne jugeras pas après avoir conseillé

Si un magistrat a été amené à conseiller en amont du litige une partie (CA Versailles, 11e ch., 17 juin 1991, Gaz. Pal. 1992, Cah. prud'h. 1992, n° 2), la sagesse commande qu'il s'abstienne en conscience de siéger comme l'admet l'article 339 du NCPC, sauf à violer son devoir de neutralité. D'ailleurs, donner un avis écrit dans l'affaire figure sur la liste des causes légitimes de récusation.

  • Tu ne jugeras pas après avoir assisté

A l'évidence, " la personne qui a assisté une partie à un procès prud'homal ne peut être membre de la juridiction appelée à se prononcer sur le différend opposant les mêmes parties " .

A partir du moment où, en l'espèce, la composition comprenait le conseiller prud'homme ayant assisté préalablement le demandeur, la cause n'avait pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial (Cass. soc., 8 janv. 1997, n° 94-42.241, Bull. civ. V, n° Il, p. 7; Bull. inf. cass 1er avr. 1997, note Mme Tatu, conseiller rapporteur, Dr. soc. 1997, p. 764, note G.-P. Q.)

En l'occurrence, la Cour de cassation n'avait pas hésité à relever d'office le moyen pour annuler le jugement Iitigieux !

Chaque partie doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans les conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire.

Avoir d'une certaine façon pris fait et cause pour un des protagonistes du procès :

- en intervenant dans le montage de son dossier (CA Paris, 31 oct.1991, D.1992, p. 431 note G.-P.Q.) ;

- en rédigeant les conclusions ;

- en sollicitant des renvois ;

- a fortiori en se présentant pour son compte en séance de conciliation (CA Nîmes, 18 mai 1999, Cah. prud'h. 2000 p. 72) ou en audience de référé donne à penser à l'autre que l'intéressé sera de parti pris en délibéré.

En effet, une telle attitude est bien " de nature à faire naître dans l'esprit du justiciable des doutes légitimes sur son impartialité. Sa violation entache le jugement de nullité ".

  • Tu ne défendras pas devant ta section

Au titre de l'article L. 516-3 du Code du travail, le conseiller prud'homme qui représente ou assiste une partie n'est pas habilité à le faire devant sa propre section ou bien encore sa chambre s'agissant de conseils comme Paris divisés en chambres.

La transgression de la règle par un conseiller s'analyserait en un manquement grave d'ordre disciplinaire emportant le suivi de la procédure ad hoc (C. trav., art. L. 514-12) au-delà de ses conséquences d'ordre processuel. Elle constitue une cause d'annulation de la sentence (Cass. soc., 17 avr. 1986, n° 84-41.621, Bull. civ. V, n° 157).

L'autonomie des sections affirmée à l'article L. 512-2 du Code du travail, a gouverné cette solution de compromis en 1982. Cette prohibition relative frappe, semble-t-il, uniquement les conseillers en activité pour mettre à l'abri les suivants de liste élus mais pas encore appelés à prêter serment.

Relèverait de l'artifice frauduleux, le comportement consistant à faire inscrire le dossier dans une autre section que celle correspondant à l'activité de l'entreprise afin de tenter de récupérer le droit de représenter ou d'assister.

  • Si tu es élu au référé, tu ne défendras pas devant la formation de référé

Les conseillers désignés paritairement chaque année en assemblée générale pour composer à tour de rôle la formation référé sont persona non grata devant leur formation (C. trav., art. L. 516-3).

  • En tant que président ou vice-président du conseil, tu ne défendras pas devant ton conseil

Exception notable, la prohibition revêt une portée générale pour les présidents et vice-présidents de la juridiction élus pour l'année en cours, toujours selon l'article L. 516-3 du Code du travail.

Un manquement à cette interdiction apparaît dès lors qu'un conseiller a dispensé des conseils, prodigué une assistance active, s'est déplacé à l'audience, a soutenu des demandes de renvois, quand bien même il a cédé finalement sa place à un avocat pour plaider. Faisant naître dans l'esprit de l'autre justiciable des doutes légitimes sur l'impartialité de la formation sans atteindre l'honorabilité de l'intéressé, il suffit à entacher le jugement de nullité (CA Montpellier, ch. soc., 29 nov. 2000, n o 2001--07-17, SA Soderhis Super U c/Bonnery, Bull. Montpellier 2001, p. 3, n°4, obs. R. Ogbi).

  • Tu ne défendras pas non plus devant une autre section de ton conseil

A l'exception des présidents, le Code du travail ne le condamne pas, en revanche, la convention européenne de valeur supérieure s'y oppose.

Au-delà de sa propre section, le conseiller recouvre légalement sa pleine liberté, mais ses collègues jouissent-ils, eux, d'une complète liberté d'esprit quand ils le voient arriver pour plaider ?

Ce qui a pu être toléré par le passé n' est plus supporté aujourd'hui (voir

L'impartialité du juge du travail, la CEDH et le CPH, Guy-Patrice Quetant, Jurisprudence sociale Lamy, n° 36-1).

Point d'aboutissement provisoire de cette évolution, l'arrêt rendu le 3 juillet 2001 (n° 99-42.735, précité), pourrait bien faire grincer quelques dents, où pour casser un jugement prud'homal dans une affaire défendue par un membre de la juridiction mais élu d'une autre section, la chambre sociale de la Cour de cassation énonce que " l'exigence (tirée de l'article 6-1) implique qu'un conseiller prud'homme n'exerce pas de mission d'assistance ou de mandat de représentation devant le conseil de prud'hommes dont il est membre ". Reproduit sur le site Internet de la Cour, cette décision revêt sans aucun doute une portée générale. Si elle s'applique à un juge prud'homal entrant en scène comme défenseur occasionnel à titre de conjoint de la défenderesse elle vise également les habitués du prétoire. Décision spectaculaire qui affirme la suprématie de la norme européenne sur le particularisme prud'homal, mais salutaire: la femme de César ne mérite pas le soupçon, César non plus bien sûr.

A la différence du conseiller du salarié ou du juge consulaire qui ne peuvent cumuler les deux fonctions, aucune incompatibilité absolue entre la condition de conseiller prud'homme et celle de " défenseur " n'est posée ni envisagée dans la perspective des élections générales de 2002 (un avocat n'est donc pas interdit de prud'homie mais sans doute l'éligibilité d'avocat salarié serait contestable car ce dernier dépend du bâtonnier et non de la juridiction prud'homale en cas de différend avec l'employeur).

Remarquons donc que le législateur qui s'intéresse de près à la juridiction prud'homale et cherche justement à en maintenir l'indépendance à l'égard notamment des partis politiques s'est bien gardé d'intervenir sur ce sujet éminemment sensible. Or, indépendance et impartialité ne forment-elles pas un couple indissociable ?

Ayons à l'esprit une donnée qui peut surprendre, la qualité de conseiller prud'homme, jamais " affichée ", du défenseur n'est pas toujours connue de son contradicteur, surtout s'il n'est pas un professionnel ou un récidiviste de la juridiction !

Par son arrêt en date du 3 juillet 2001 (n° 99-42.735, précité, Semaine sociale Lamy, n° 1037, p. 15), la Cour de cassation balaie cette possibilité en définissant une interdiction absolue. Elle s'appuie précisément sur l'article 6 tel qu'interprété par la Cour de Strasbourg. L'exigence d'impartialité implique qu'un conseiller prud'homme n' exerce pas de mission d'assistance ou de représentation devant le conseil de prud'hommes dont il est membre .sous peine d'annulation du jugement !

La chambre sociale de la Cour de cassation pose le principe sévère mais juste, non en ce qui concerne un conseiller assurant une défense à titre syndical mais à propos d'un conseiller venu défendre son épouse à titre familial.

La conséquence est la même et immédiate, pas de différence entre les occasionnels et les semi-professionnels, tous doivent être logés à la même enseigne. Elle oblige à changer rapidement certaines habitudes de défense qui ne " passeront " plus. Est-ce à dire qu'un conseiller prud'homme ne pourrait pas non plus se défendre en personne ou pour représenter sa propre entreprise s'il est cité devant son conseil de prud'hommes, ne serait-ce que pour solliciter le renvoi au titre de l'article 47 du NCPC ? il ne semble pas qu'on puisse aller aussi loin... sauf à porter atteinte aux droits de la défense.

  • Tu pourras défendre devant un autre conseil de prud'hommes

La question ne se pose pas avec la même acuité: la neutralité du juge n'est somme toute pas en danger.

Toujours est-il que la Cour de cassation circonscrit l'interdiction au domaine du conseil où l'intéressé a été élu, ce qui autorise à aller défendre ailleurs, devant la juridiction limitrophe par exemple.

Du reste, M. Pierchon afin d'obvier aux inconvénients signalés nés du cumul des fonctions juridictionnelles et de défense avait en son temps proposé judicieusement (Dr. travail juill. 1993, chron. 13) d'étendre le bénéfice du renvoi à un conseil limitrophe, non seulement dans le cas où un magistrat est partie à un litige devant sa propre juridiction, mais encore dans l'hypothèse où il est le conseiller d'une partie au procès. La proposition mériterait d'être réexaminée au lendemain de la décision de la Cour de cassation dans la perspective d'une éventuelle réforme de la réglementation.

  • Tu pourrais défendre devant la Cour d'appel sous réserve que...

Si la Cour de Cassation cantonne la prohibition au seul conseil d'appartenance, pour autant un conseiller prud'homme est-il admis à venir défendre en appel une affaire qu'il a lui-même jugée en première instance ? Si le cas était purement d'école, il ne mériterait pas d'être rapporté. Malheureusement, la situation s'est déjà produite plusieurs fois... (voir CA Douai ch. soc., 31 mars 2000, n° 94/04953 où le conseiller prud'homme défenseur arguait au surplus de la violation du délibéré pour n'y avoir pas participé lui même !).

A l'évidence, ce genre de comportement " inouï " heurte le serment du conseiller, elle laisse rétrospectivement un goût amer à l'autre partie !

Sinon, un conseiller prud'homme reste en l'état actuel du droit habilité à assurer le suivi d'un dossier devant la Cour d'appel ou une autre juridiction s'il est mandaté régulièrement.

  • ...mieux vaut pour un prud'homme ne pas défendre

Juger ou défendre, il faut choisir. Ce slogan publicitaire détourné en prescription disciplinaire méritait particulièrement d'être rappelé à rapproche du renouvellement des prud'hommes. Le mercredi Il décembre 2002, en effet, ont vocation à être élus pas moins de 14 626 conseillers prud'hommes (sauf légère révision éventuelle à la baisse des effectifs décidée au terme de la consultation nationale lancée par les circulaires DRT n° 01/02.03 du 27 juin 2001 ). Elus en pleine connaissance de cause de leurs droits et devoirs ! (G.-P. Quetant, L'impartialité du juge du travail : la Convention européenne des droits de l'homme et le conseil de prud'hommes, Jurisprudence sociale Lamy, 18 mai 1999, n° 36-1). Pour couper court à toute contestation rejaillissant inévitablement sur l'institution prud'homale elle-même, le bon sens incline à une complète abstinence.

  • Bref, pour conclure : tu ne devrais jamais pouvoir défendre

Ne conviendrait-il pas en dépassant la solution inaugurée par l'arrêt du 3 juillet 2001 de remodeler l'article L. 516-3 du Code du travail, et d'opter pour une incompatibilité totale entre les fonctions de juge et celle de défenseur ?

Si elle heurte de plein fouet la pratique des syndicalistes-prud'hommes et donc aura du mal à être acceptée, elle frapperait par ricochet aussi les avocats élus comme conseillers prud'hommes au sein du collège employeur de la section des activités diverses.

Il faudra s'y résoudre, quitte à prévoir un temps d'adaptation car les doubles casquettes, les cumuls de fonctions deviennent difficiles à porter sinon à justifier .

Guy-Patrice Quetant
Juriste en droit social